Entreprendre en communs

Je prolonge la réflexion de Simon concernant le programme Zéro Chômeur, engagé par la MEL.

Ce qui me semble rapprocher ce programme de la dynamique impulsée par Catalyst-Anis-Assemblée des Communs, c’est le fait de donner la priorité au commun.

Dans les deux dynamiques, on favorise, d’abord, la construction du « commun ». La viabilité économique des activités rendues possible est envisagée ensuite, en fonction des personnes associées au commun.

La dynamique d’identification des besoins qui rend le commun nécessaire, de définition des usages pour un ensemble de personnes qui se reconnaissent dans cette construction, est première. Et on peut alors transformer les besoins en activités économiques à partir des capacités reconnues aux personnes. C’est un vrai renversement dans les modalités de création d’activités et de construction de la viabilité économique des « entreprises » et de ceux qui y voient leur travail valorisé.

Ces deux dynamiques ont besoin d’appuis collectifs, institutionnels, pour s’enclencher et se pérenniser, ne serait-ce que pour réguler les relations avec d’autres formes d’organisations économiques.

Ce qui distingue ces deux dynamiques de création, TZC et Activités en communs, c’est peut-être qu’elles mobilisent des trajectoires et des milieux sociaux différents.

En tout cas, il y a un intérêt évident à envisager dans un même mouvement ces nouvelles formes d’entreprendre en communs. N’est-ce pas aussi un horizon de solutions pour certaines « associations », au moment où la MEL engage une série d’études sur la « santé économique des associations » ?

Une politique publique, en appui aux processus de construction d’activités économiques sur base de communs, pourrait se définir à partir des dynamiques engagées. Il serait également intéressant d’envisager un « observatoire de l’entreprendre en communs » pour en mesure les effets réels.

Une discussion fructueuse pourrait s’enclencher.

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Quelques remarques par rapport à la discussion sur les CAE, l’accompagnement et la dynamique des communs

Il faut avoir conscience que ce qui se discute ici c’est le développement de l’infrastructure de l’économie des communs. Aussi, la question de l’accompagnement doit être envisagée, non pas d’une façon traditionnelle comme elle l’est dans l’entrepreneuriat ordinaire, et même dans l’entrepreneuriat social, mais d’une façon nouvelle, au regard du soutien à des processus de mise en communs.

Faut-il en faire un service identifié en tant que tel et porté par des prestataires qui seraient autres que les porteurs de communs ? Ne faut-il pas faire évoluer les modalités de l’accompagnement, comme autant de processus mutualisés qui pourraient être le fait des commoners eux-mêmes ? On pourrait davantage identifier les activités liées à cela et les rémunérer. L’accompagnement dont ont besoin les initiatives en communs et les processus de viabilisation économique pour les commoners doit-il correspondre à des activités de « conseiller/consultant », même bienveillant (cheminant avec le commoner, partageant le pain…), ou à des activités de formateur ? Surement aussi, mais d’abord en privilégiant les processus partagés de mutualisation (à creuser…).

Il ne s’agit pas ici, d’abord, de limiter les coûts de cet accompagnement, (d’abord faut-il les voir comme des coûts ?) mais de prévenir les dérives des modèles économiques vers des pratiques économiques contraire aux communs si ces pratiques s’appuient sur du financement public qui dénature la dynamique des communs.

Mais, il faut être attentif aux dynamiques de construction de communs, et d’entreprises qui travaillent en lien avec ces communs. Ces dynamiques peuvent être très diversifiées.

L’exemple (Ce que j’en ai compris) des groupes « métiers » mis en place au sein de Grands Ensemble semble montrer une dynamique potentielle de construction de communs à l’inverse (et pourquoi pas ?) de celle dont on parle plutôt au sein de l’Assemblée des Communs/ Chambre des Communs. Là, où en imagine créer le commun d’abord et ensuite viabiliser les activités économiques qui peuvent en découler, on a ici un mouvement inverse, où les activités sont créées d’abord, dans une logique classique, et c’est la mise en commun de ces activités qui fabrique du commun.

A approfondir….

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Aux sources du Commun : l’Initiative, la Créativité, l’Emancipation, le Territoire
L’ « entrepreneuriat » comme champ d’action publique se présente prioritairement sous le registre de l’action économique et se distingue d’autres domaines d’action publique présentés comme relevant du « social », des actions engagées au titre de la démocratie participative, etc. Les politiques publiques reproduisent ces différentiations de l’action publique, et les acteurs de la société civile, dans la recherche d’appuis et de soutiens à leurs initiatives, sont dans une large mesure obligés de s’y conformer. Des cloisons isolent les processus d’action économique des processus d’action politique, publique, de soutien à la démocratie participative, à la citoyenneté, etc. L’action économique elle-même fait l’objet d’approches morcelées. Les processus de création d’activités sont séparés des problématiques d’insertion par l’activité économique, elles-mêmes distinguées d’autres formes de traitement social de l’emploi, etc. Souvent d’ailleurs, le fait d’inscrire sa démarche d’action dans le champ global de l’économie sociale et solidaire ne garantit pas un dépassement de ces cloisonnements ; chacun des domaines et structures de l’action publique, développement économique ou politique d’action sociale, de développement citoyen, ayant désormais à cœur d’afficher une dimension ESS.
Il faut nous départir de ce cloisonnement pour comprendre l’entreprendre en communs.
Dans cette perspective, on peut distinguer deux voies constitutive d’une problématique spécifique de l’entreprendre en communs. La première voie concerne l’émergence des nouvelles formes potentielles d’action économique que recouvrent les notions d’économie collaborative, contributive, circulaire, du partage, etc., souvent appuyée sur les potentialités de l’économie numérique (Moulier Boutang, 2007). La seconde voie concerne l’issue à la crise de l’associationnisme (Laville, 2010), aux perspectives ouvertes par les potentialités de la capacitation citoyenne (Sen, 2000) et du pouvoir d’agir (Carrel, 2013).
Ce que les notions d’entrepreneuriat social, d’une part, et d’initiative citoyenne, d’autre part, isolent, les notions de « territoire », de développement durable et de transition sont potentiellement susceptibles de fédérer.

Comprendre les processus de prise d’initiative citoyenne
Dans les réflexions sur le développement de l’ESS, quelle place est-elle réservée aux dynamiques de prise d’initiative solidaire citoyenne ?
La question des conditions spécifiques de la prise d’initiative mérite d’être posée en tant que telle.
Des recherches montrent en quoi remplir ces conditions suppose un travail spécifique de capacitation citoyenne (ref). Cette réflexion en termes de « capacitation » à une double origine, comme peut être double et antagoniste la réflexion en termes de « libération des potentialités d’action économique », selon que l’on se situe dans la perspective de la construction d’un acteur, comme individualité libérale ou d’un acteur singulier, « libéré » des contraintes aliénantes du travail, en interactions avec ses contextes de socialisation.
Mais, comme il est trop souvent dit, il ne s’agit pas seulement de réfléchir à des processus d’acquisition de connaissances et de compétences. Comme les travaux portant sur les mouvements d’Education Populaire l’ont montré-Les travaux plus anciens étant aujourd’hui réactualisés par ceux qui portent sur les enjeux contemporains de l’associationnisme-, cette capacitation est d’abord un processus d’émancipation. Il est ensuite un processus de construction d’acteurs porteurs de droits et de potentialités d’action économique.
Aussi la réflexion sur les conditions de la prise d’initiative est faite d’explicitation et de compréhension de positions sociales, de formulation de droits à l’initiative, un processus de libération qui associe construction de justesses singulières, individuelles, et de justice sociale par l’action collective au sein d’une communauté qui se construit sa propre gouvernance.
Entreprendre en communs, c’est d’abord la fabrique sociale des usages
L’explicitation des besoins est constitutive des propositions en économie solidaire, que les acteurs expérimentent dans leurs prises d’initiative et leurs projets.
Pour peu évidents qu’ils soient, les ressorts de la prise d’initiative sont divers. Lorsqu’ils s’activent, c’est d’abord un travail d’expression, d’objectivation et de formalisation de besoins. Ce travail peut d’ailleurs s’initier par l’expression d’un manque, formulé ou pas, dans un mode plus ou moins résigné ou indigné. Le sentiment de justice/injustice intervient dans la possible expression de ce manque, dans un mouvement qui lie, certes, la satisfaction de l’individu qui accomplit ce travail autoréflexif, mais surtout les besoins de tous, dans un travail collectif en vue d’un besoin universel. Il me semble que c’est bien là le point majeur de discrimination des processus de prise d’initiative solidaire ; la potentialité qu’ils offrent de travailler l’objectivation des besoins, la conception des usages possibles et leur constitution en biens communs.

Initiatives, coopération, collaboration et contribution
De fait, les initiatives prises, en rupture avec les contraintes de la subordination dans le travail et les rapports de consommation, mais aussi avec le rapport passif à l’action publique, ont souvent les principes du coopératif, du collaboratif et du contributif en perspective.
L’analyse des dispositions à la prise d’initiative suppose celle des systèmes de positions sociales dans lesquelles se trouvent ces acteurs potentiels. Une approche par les motivations ne peut se dispenser de ce premier cadrage contextuel. Les positions à déconstruire/reconstruire méritent d’être explicitées. Elles impliquent la remise en cause de rapports d’assujettissement et de domination dans les rapports de travail et, du fait de la structuration que produisent les institutions dominantes de l’économie, dans les rapports aux institutions publiques. C’est dans cette esprit que, potentiellement chez certains, les jeunes en particulier, à l’orée de leur insertion professionnelle, cette remise en cause débouche plus globalement sur l’envie de décloisonner des positions de producteur, de consommateur, de distributeur, par la valorisation de celles de contributeur. C’est en cela que, malgré l’incertitude sur les technologies de l’impression numérique, l’expérience des FabLabs ou des groupes de Makers servent d’emblème pour les collectifs du monde collaboratif à la recherche d’une perspective économico politique. Les positions adoptées se précisent un peu selon que les acteurs mettent en avant les notions de collaboration ou de contribution. Le mode collaboratif correspondra surtout à des formes économiques inspirées de l’économie du partage (sharing economy). Il pourra davantage s’accommoder d’activités plutôt complémentaires, à d’autres exprimées selon les logiques économiques dominantes, d’activités de niches, valorisées financièrement de façon marginale. Le mode contributif, quant à lui, sera davantage affiché comme une alternative et une rupture privilégiant la non division et la réintégration des activités de production, distribution, consommation, financement. Mais on ne peut que constater l’instabilité actuelle des définitions ainsi que les tensions et contradictions qui demeurent. Stiegler lui-même, parlant de Pharmakon, veut souligner que dans toute technologie comme dans toute proposition alternative qu’il y a toujours deux tendances opposées : « l’une bonne, positive, émancipatrice et l’autre négative, prédatrice » . Il faut donc analyser la toxicité potentielle de ce qui est avancé comme proposition alternative.
Une autre de ces tensions qui président à la définition des positions économiques revendiquées dans la prise d’initiative est le fait qu’elles sont à différents niveaux d’hybridation de logiques marchandes et non marchandes. Certes, elles sont globalement nourries de positions critiques sur la domination et les excès de la marchandisation du traitement des besoins. Elles expérimentent alors des solutions économiques mixtes, souvent peu stabilisées, débouchant sur autant d’impasses et de contradictions que sur l’expérimentation de logiques de « démarchandisation ». Elles entrent alors en dialogue avec les parcours de viabilisation économique prônés par les acteurs de l’économie solidaire.
Mais, une de leurs caractéristiques communes est le fait d’être en mode « ouvert » ; l’entrée dans le collectif ne se fait pas sous le mode du ralliement et de l’adhésion, mais sous celui de la contribution ouverte. Tous sont invités à contribuer.

Des initiatives en communs
Les formes d’hybridation des principes collaboratifs et contributifs rencontrent la problématique des communs.
A la recherche d’un argumentaire d’action pertinent, les acteurs de l’économie politique collaborative/contributive commencent à le trouver grâce à la notion de biens communs qu’acteurs et chercheurs contribuent aujourd’hui à mieux définir (Bollier, 2014 ; Dardot, Laval, 2014 ; Coriat, 2015). De nombreux ouvrages s’efforcent de mieux problématiser et théoriser une approche qui trouve son aliment dans les expérimentations et les initiatives citoyennes. Les notions avant d’être avancés comme des concepts sont présentés comme émergeant du terrain des mobilisations. On pourrait même considérer que certaines approches menées précédemment au titre de la théorie des biens communs auraient pu ne pas nourrir ce phénomène de l’économie politique contributive. Il a fallu une redécouverte des « communs » pour qu’une nouvelle problématique rencontre les expérimentations en cours et fournisse une argumentation désormais en plein développement (Coriat, 2013, 2015).
Cette argumentation a des répercussions sur la question des droits, de propriété notamment, en lien avec les processus de création d’activités et d’entreprises. Le débat ancien sur la gouvernance des biens communs l’avait déjà montré, aujourd’hui cette question revient en force dans les débats sur les initiatives contributives et citoyennes. Rifkin parle de passage d’une logique de propriété à une logique d’usages de biens (2014).
Le commun se construit dans la dynamique même de l’entreprendre, ce n’est pas une ressource préexistante, et dans le même temps il permet la construction/consolidation du collectif qui en est à l’origine.
En plus qu’il n’y a pas de bien commun que dans des ressources existantes à se partager ou pour lesquelles il faudrait garantir un égal accès et une préservation collective, François Flahaut montre que l’on ne peut dissocier le bien commun du contexte et même du collectif qui lui donne naissance. Il parle à ce propos de « bien commun vécu » : « L’ « ambiance », l’ « atmosphère » qui règne dans un groupe plus ou moins nombreux constitue un bien commun vécu par les membres de ce groupe. Ce type de bien commun, intangible mais très réel, répond aux mêmes critères que les autres (libre accès et non-rivalité) ; plus un troisième critère : non seulement le fait d’être plusieurs ne diminue pas le bien-être vécu par chacun, mais le fait d’être plusieurs est la condition nécessaire pour que ce bien se produise » (Flahaut, 2011, p.118).
Elinor Ostrom proposait déjà de partir de la notion de « groupe d’usagers » (User group) entendu comme « a set of individuals that makes (or has claim to make) use of a particular common pool resource » (Ostrom, 1986, p.607, cité par Coriat, 2013, p.11). Elle ne se contentait pas de mettre en avant ces « users groups » mais aussi soulignait leurs modes d’organisation (UGO, pour Users groups organisations) en tant que supports et conditions d’existence d’un commun. Pour Ostrom, comme le souligne Coriat : « un commun c’est d’abord et avant tout une communauté d’acteurs » (Coriat, 2013, p.11).
Construit au cœur du collectif dans une dynamique collective de l’entreprendre, le commun n’est pas appropriable individuellement. Mais cette non appropriation du bien commun construit n’est alors pas un renoncement à un bien mais la construction/réception d’un bien commun tangible. Et c’est bien cela que montrent les expériences de génération et accélération collective de projets qui s’opèrent dans les dispositifs de soutien collectifs à l’entreprendre collaboratif/contributif. C’est cela que mettent en avant les collectifs, tel le collectif « Catalyst ».
L’appropriation collective se construit au cœur des initiatives et construit les acteurs dans leurs capacités à les porter en projets, et dans ces nouvelles positions par rapport à la propriété. La réflexion n’est ici pas uniquement et même principalement juridique, elle porte sur le processus collectif de création d’usages possibles pour soi-même parce que pour autrui. De plus, comme le souligne Flahaut (idem, p.133) : « le bien commun se réalise à travers des biens communs ». C’est bien à ce type d’individuation singulariste et de fabrique sociale de positions sociales en logique contributive que l’on assiste alors.
Expérimentations en économie collaborative/contributive et conceptualisation en termes de biens communs vont de pair. Chercheurs et acteurs se retrouvent alors dans cette perspective. C’est ce à quoi font référence David Bollier et Silke Helfrich (Commonsblog), parlant de travaux menés dans le cadre d’une université d’été allemande sur les biens communs, tenue en juin 2012 à Bechstedt, Allemagne, et qui ont débouché sur huit points de référence pour la mise en commun des biens élaborés à partir des travaux d’Ostrom.
“There is no master inventory of commons” : C’est effectivement impossible dans la mesure où un commun surgit quand une communauté décide de gérer une ressource de façon collective ; tout dépend donc de la logique d’action de la communauté.
“The commons is not a resource” : C’est une ressource mais associée à une communauté précise et aux protocoles, aux règles et aux valeurs partagés par la communauté.
“There is no commons without communing”: Ce qui prime ce sont les pratiques collectives de mise en commun.
Bollier poursuit cette synthèse sur les commons en mettant en avant la logique d’ouverture (de non enclosure), les luttes que cela suppose pour les commoners (les acteurs associés en communs) de trouver de nouvelles solutions institutionnelles légales, juridiques (en rapport à l’évolution des droits de propriété), la reconnaissance de nouvelles formes de communs à tous les niveaux de la vie sociale (Bollier, 2014, p.175 à 177).
Mais, le débat se nourrit de nouvelles convergences de problématique reliées aux mobilisations et aux expérimentations précédentes ainsi que les débuts de théorisation qui en résultent, par exemple avec les débats sur l’économie des logiciels libres et de la gratuité. Elles sont aussi au cœur des débats/controverses et portées par des plateformes numériques avec tous les outils permettant les nouvelles pratiques elles-mêmes collaboratives/contributives.

Entreprendre en communs : Le commun d’abord !
Les initiatives qui prennent le chemin de la création d’activités, portées par des collectifs associatifs, se confrontent rapidement à la double question de la viabilité économique des activités créées, et de la salarisation éventuelle des porteurs de projets débouchant de l’initiative.
S’agissant de la viabilité économique d’activités individuelles ou mise en œuvre de façon collective, plusieurs chemins sont alors empruntés. Il y a celui de la viabilisation individuelle de certains porteurs, en autoentreprises, ou autres statuts de free-lance (d’intermittents, dans certains domaines culturels), plus ou moins articulés avec des structures qui en assurent la gestion, des CAE –Coopératives d’Activités et d’Emploi-, par exemple.
Autre chemin, celui de la structuration de l’activité sur un mode marchand, mais dans le cadre d’une coopérative. Plus récemment, la SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) pourra être privilégiée. Dans la même logique associative et solidaire, la priorité pourra être donnée à une structure d’association en la rendant compatible avec un fonctionnement marchand, ou pseudo marchand, en partie marchand, tout en sollicitant l’un ou l’autre financement public ou, privé, « collaboratif » via le crowdfunding, par exemple. Plusieurs difficultés sont à envisager. La logique de création d’emplois en lien direct avec une création d’activités bute sur le coût de l’emploi complet, durable, et ne peut souvent se réaliser que par le recours à des emplois aidés. D’autre part, une autre limite apparait dans le fait que les salariés issus de ses processus de création d’activités convertis immédiatement en emplois sont dessaisis de la gouvernance des structures créées ; un salarié ne pouvant siéger au conseil d’administration d’une association.
Ces difficultés renforcent les processus de création d’activités qui adoptent la logique entrepreneuriale de la capitalisation. Et finalement, plus que les conceptions de départ des processus de création d’activités, en l’absence de propositions permettant la viabilisation économique des activités créées, ce sont les dispositifs classiques de l’entrepreneuriat qui s’imposent.
Cependant l’expérience de création d’activités viables économiquement dans le domaine du numérique libre et dans l’exploitation des licences libres nous montre un autre chemin possible.
La réflexion engagée avec les collectifs qui privilégient une approche « en communs » se base sur l’expérience de la création d’activités dans le domaine du logiciel libre et de l’open source pour définir les premiers éléments d’une problématique de l’entreprendre en communs.
Cette problématique peut se résumer par cette injonction : « le commun d’abord ! »

Le commun, réponse à un besoin et expression d’une égalité de traitement ou d’une inégalité perçue comme juste
Cela signifie que la démarche de créativité citoyenne qui s’amorce au cœur de ces initiatives en communs prend appui sur l’expression d’un besoin. C’est ce besoin qui sera à l’origine d’une réflexion sur les usages d’un bien ou d’un service qu’il convient de conforter, de partager, de développer, ou d’adapter. Dès le départ, la réflexion ne se focalise pas sur le produit et/ou le service en tant que tel mais sur les usages qui en sont faits.
On peut aussi observer que cette expression de besoin s’opère dans un mélange d’attentes et de désirs, mais aussi de jugements sur les inégalités d’accès aux usages. Ces inégalités pourront être perçues comme plus ou moins injustes et se traduire en autant de revendications. L’action collective de construction du commun a donc dès le départ une double dimension, une dimension technico économique de construction d’une solution qui doit permettre de créer des usages en réponse à un besoin, mais aussi une dimension socio politique de délibération sur les conditions d’accès à ces usages. Ainsi, dès le départ, la démarche de construction ne peut se réduire à un projet technico économique de création de produit ou de service. La démarche intègre une dimension de délibération citoyenne ; que cet aspect soit reconnu ou non par les acteurs eux-mêmes ou par les représentants de l’action publique qui peuvent être sollicités à l’un ou l’autre des moments de maturation de cette démarche.
Les outils d’aide à la construction d’un projet de commun, que ce soit ceux exprimés en termes d’analyse de la valeur ou du « design de service », outils qui pourraient se révéler utiles dans le processus de création collective, ne pourront être mobilisés que dans la cadre de processus de démocratie participative et délibérative qui ont eux-mêmes leurs propres outils de facilitation.
La démarche globale, Le commun d’abord !, aura alors à en assurer la convergence avec les outils de créativité technico économique des usages.

Construire le commun pertinent et solidaire
Ce principe de base étant posé, une double question se pose : d’une part, le commun en cours de construction est-il pertinent, par rapport à d’autres démarches similaires et simultanées qui pourraient se faire jour sur le même territoire ou sur un territoire proche ; d’autre part, le commun que les acteurs se proposent de construire répond-t-il à des critères de justice et de solidarité ?
En effet, il importe de vérifier que les communs éventuellement en construction ne se font pas concurrence. Il importe aussi que l’on s’assure que celui sur lequel porteront les appuis de facilitation et d’institution sera le plus à même de répondre durablement au besoin exprimé. Il faudra aussi vérifier que la réponse la plus pertinente donne aussi toutes les garanties de solidarité et de se prémunir du danger d’égoïsme du commun. C’est pour cela que la confrontation des projets exprimés dans les différents modèles économiques alternatifs avec les éléments organisationnels, politiques et éthiques de l’ESS est essentielle et que des liens forts doivent être tissés entre les acteurs de ces deux mondes. Cette confrontation, rendue possible au sein des organisations et des dispositifs communs aux différents secteurs porteurs d’une alternative économique et politique, doit permettre de distinguer des projets qui jouent transitoirement le commun pour déboucher sur autant d’appropriations privées différées ; ce que les théoriciens des communs appellent les dangers d’ « enclosure ». Mais, dans le même temps, ces nouvelles pratiques de construction d’initiatives « portées en communs » viennent questionner les acteurs traditionnels de l’ESS et leurs organisations. Et, il faut bien constater que tout cela contribue à une dynamisation des secteurs de l’ESS.

Identifier les collectifs porteurs et les communautés d’usage
Si chaque commun est le résultat d’une construction sociale collective, les usages qu’il permet vont au-delà du collectif qui le porte au départ. On pourrait aussi dire que collectif et communauté d’usages sont en permanente évolution. S’il y a identité de l’un et de l’autre il y a risque d’égoïsme ou d’appropriation du commun.
Distinguer ces deux notions de collectif porteur et de communauté d’usages permet aussi de traiter la question du rapport du commun à l’espace public et celle du processus d’institution dont il peut faire l’objet. Le commun doit se positionner sur l’espace public, faire sa « publicité ». Se positionner suppose aussi d’envisager le niveau et la forme d’institution qui lui seront le plus adaptés. L’appui à l’entreprendre en communs doit être une aide au traitement de ces questions ; ce que ne traite pas l’entrepreneuriat ordinaire, ni même l’entrepreneuriat social.
Le commun tel qu’il est construit, démocratiquement, donne son sens aux activités économiques induites
La construction du commun ne signifie pas que des activités économiques, y compris marchandes, ne puissent pas en être induites, au contraire. On peut même dire que la construction collective du commun est une entreprise collective de création économique dans la mesure où le commun coïncide à un écosystème économico politique qui a sa cohérence.
De nombreux exemples tirés de l’économie politique du logiciel libre le montrent, la construction collective et le développement continu d’un commun n’est pas incompatible avec la création d’activités induites, portées par des organisations de tailles et compositions diverses, et répondant à des formes de viabilité économique elles-mêmes diverses.
D’un part un commun peut donner lieu à des activités portées par des structures et dans des modes économiques différents. D’autre part les mêmes entreprises, au sens où il s’agit d’entités ayant une unité de stratégie et de fonctionnement, peuvent présenter une diversité de modèles et des formes hybrides de ces modèles.
Un commun pourra générer des activités portées par des individus autonomes à statut d’indépendants ou par des entités relevant de différentes structures, associatives, coopératives, entrepreneuriales. Il pourra générer des activités rémunérées, strictement marchandes ou marchandes régulées, des activités financées par du crédit public, par du crédit mutualisé, par des dons privés, etc.
Le point particulier de ce type de créativité collective est de n’envisager les activités économiques, sous leurs différentes formes et modes de viabilisation, que dans leurs interrelations avec un commun dont la gouvernance globale demeure spécifique par rapport à celle des entités économiques induites. Ainsi, les appellations mais aussi les formes d’appropriation seront nécessairement distinguées pour éviter toute confusion et limiter les effets d’enclosure.
On pourrait montrer que cette réflexion sur les niveaux de gouvernance des communs et de leurs activités induites ne fait que reprendre et approfondir des travaux économiques dont on a redécouvert la portée avec le retour en grâce des théories sur les communs, après la reconnaissance des travaux d’Ostrom et de ceux qui leur ont donné une suite. On pourrait aussi montrer que cette réflexion a son pendant avec celle que se fait jour concernant les niveaux et les formes de gouvernance des grandes entités économiques que sont les entreprises du contexte économique capitaliste dont nous héritons.

Entreprendre en communs dans l’espace public
Entreprendre en communs est une affaire publique.Cette affirmation ne fait que reprendre l’idée développée précédemment selon laquelle l’action d’entreprendre ne relève pas d’une logique d’action économique qui serait à distinguer d’autres dynamiques d’action relevant de de l’action politique. C’est ici que les réflexions sur la création d’activités doivent construire une argumentation économique qui soit en phase avec les positions mobilisatrices exprimées en termes de pouvoir d’agir. L’action est ici tout autant économique que politique. Trop souvent les dynamiques d’action sont cloisonnées du fait de la prégnance des représentations de l’économie et des cloisonnements opérés par les institutions, leurs politiques et leurs dispositifs.
L’entreprendre en communs suppose de ré envisager l’espace public et la façon dont se positionnent les systèmes d’acteurs sur cet espace. Les expériences en cours montrent que des créations alternatives sont possibles et qu’elles peuvent désormais s’appuyer sur des collectifs, des réseaux, qu’elles peuvent bénéficier de soutien, y compris financiers, et d’appuis publics. Il n’en demeure pas moins que ces soutiens et ces appuis sont présentés et perçus comme résultant de politiques minoritaires, au mieux complémentaires, toujours en décalage avec ceux censés représenter les voies majoritaires d’une action économique vis-à-vis de laquelle les pouvoirs politiques contribuent pourtant de façon souvent déterminante.
Les représentations de l’action économique semblent dominées par la conception que celle-ci relèverait surtout d’acteurs privés, seuls à même d’assurer la viabilité des activités de par la vertu du fonctionnement des marchés alors que le financement public semble, d’une part, ne pas apporter cette garantie d’efficacité économique, et, d’autre part, connaître une inéluctable diminution. L’ « entrepreneuriat », comme idéologie de l’entreprendre, s’inscrit dans ce type de formatage des représentations de l’efficacité, avec son vocabulaire de la rentabilité et de la compétitivité.
Il serait révélateur de montrer en quoi l’action économique est déjà largement le fait conjoint des pouvoirs politiques et des acteurs privés au travers de tous les dispositifs de l’économie mixte, ou au travers de la commande publique.
Cette question des représentations de l’économie et des pratiques d’action économique qui en découlent suppose de s’interroger sur la prégnance des représentations alternatives en matière d’action économique et des dispositifs susceptibles de confronter, de décomposer/recomposer ces systèmes de représentations. Cela suppose que soit réexaminé l’espace public qui abrite ces systèmes de dispositions, positions, les controverses et les conflits que l’expression et la confrontation des représentations mettent en scène.
Cela conduit à envisager ce en quoi pourrait consister un espace public, lui-même, alternatif, comme sous espace public dominé pour reprendre les propositions faites par Nancy Fraser en la matière (2005).
L’entreprendre en communs : un sous espace public dominé
Il est de fait qu’on n’a jamais autant parlé de lieux et de territorialisation de la prise d’initiative et de la création d’activité.
Partout dans le monde, de nouveaux lieux éclosent dénommés « tiers lieux » en référence à l’appellation donnée historiquement par Oldenbourg (1989). Ils sont principalement vus sous deux aspects.
Le premier aspect concerne les rapports très particuliers que les participants à ces lieux manifestent quant à leurs rapports au travail et aux relations dans le travail. L’accent est alors mis sur la dimension coworking de ces lieux. Sous un second aspect, ces lieux commencent à être vus comme des lieux de production et particulièrement de fabrication. On insiste alors sur le succès de l’impression 3D qui y occupe souvent la vedette et rend possible une fabrication de laboratoire (FabLab) au sein de « Makerspaces », etc. Ces deux aspects sont importants et méritent des recherches approfondies.
Mais, ces tiers lieux, tout au moins certains d’entre eux, recouvrent un autre aspect. Les tiers lieux, et les acteurs qui s’en servent comme point d’appui à leurs démarches de création d’activités, expérimentent des dynamiques collectives de formalisation d’usages et de création d’activités induites en s’appropriant une problématique émergente centrée sur la notion de « commun ». Commençant à fournir les éléments constitutifs d’une économie politique de construction d’usages et d’activités constitués en communs, ces tiers lieux constituent désormais les bases infrastructurelles d’un monde de production en communs.
Les tiers lieux porteurs de cette logique d’agir collectif apparaissent alors tout à la fois comme des espaces d’incubation d’activités - pour reprendre des termes bien connus des appuis publics et privés fournis à des processus de création d’activités-, mais aussi, et surtout, comme des espaces de création de capacités individuelles et collectives à un « entreprendre alternatif ».
A ces premiers tiers lieux, espaces potentiels d’émancipation et d’action économique alternative, il faut ajouter les espaces de mobilisations que sont d’autres lieux alternatifs, comme les lieux culturels autogérés qui concentrent de nombreuses pratiques de création artistique et culturelle. Ces lieux sont tout à la fois des espaces pour des centres de ressources pour les artistes qui y mutualisent leurs pratiques, des lieux de production, de programmation des œuvres créées, des lieux de « résidence » pour des créateurs « invités », etc.
Il faudrait aussi envisager dans la même représentation en termes de sous espace public dominé les lieux faisant l’objet de pratiques mobilisatrices et occupationnelles, en tout premier place il faut envisager les pratiques qui se développent sur les espaces laissés en « friches » et qui sont l’objet du débat public d’aménagement.

Un nouvel imaginaire instituant : le « territoire » et les lieux, liens, physiques et numériques
Cette nouvelle problématique de l’espace public dominé doit aussi être mise en relation avec les contraintes et les potentialités que représente l’actualité forte donnée dans la dernière période à la notion de territoire. Cette notion de territoire est désormais l’angle de reconception de nombreuses politiques publiques. En ce sens elle est désormais incontournable. C’est tout l’enjeu actuel de la création et de l’institution des PTCE (pôles territoriaux de coopération économique).
De même que l’on n’a jamais autant parlé des tiers lieux, on a jamais autant parlé des potentialités des plateformes numériques. Ainsi, sur l’espace public lillois, la convergence des initiatives alternatives est le fait d’acteurs associatifs et institutionnels, mais s’appuie aussi sur l’existence de plateformes collaboratives, celles générées dans la mouvance de l’Assemblée des Communs (ref).

Infrastructures des entreprises en commun
Pourquoi parler d’infrastructures ? Il y a plusieurs raisons à cela.
Les initiatives se multiplient et commencent à être aidées dans leur émergence et leur développement. Elles débouchent sur une viabilité économique pour ceux qui les portent et, de ce point de vue, elles commencent à représenter une alternative professionnelle et personnelle pour ceux qui s’y engagent.
Les autres dynamiques de création d’activités économiques, celles qui débouchent sur des entreprises capitalistes ordinaires, bénéficient de politiques publiques qui y allouent des moyens, financiers notamment. En synergie avec ces politiques publiques, des organisations publiques, quasi publiques et même privées se positionnent pour aider, accompagner les créateurs d’entreprises. Tout cela a permis le développement d’une problématique d’action publique et de recherche sur le thème de l’ « entrepreneuriat ». Cet univers de l’entrepreneuriat, ses organismes, ses financements, ses dispositifs d’appui et d’accompagnement, ses congrès, salons et conférences, ses diplômes universitaires et ses actions de recherche développement dédiées, forme les « infrastructures », conditions générales d’émergence et de développement, sur lesquelles ces processus de création, les activités et les entreprises créées peuvent s’appuyer.
C’est à l’émergence de conditions générales similaires s’agissant des processus et activités spécifiques aux économies alternatives qu’il est désormais nécessaire de réfléchir.
De fait, le début de reconnaissance institutionnelle dont les initiatives solidaires alternatives sont l’objet montre que la question se pose.
Cette question des infrastructures est révélatrice des enjeux qui se font jour dans l’espace public à propos de l’action économique et des orientations à donner aux politiques publiques en la matière. Dans quelle mesure les initiatives potentiellement porteuses d’une alternative économique peuvent-elles s’appuyer sur des dispositifs et des moyens générés dans le cadre de politiques publiques ? Cette question concerne le devenir des expérimentations menées sous les diverses appellations données aux économies alternatives, mais elle concerne bien évidemment les projets qui s’inscrivent dans la mouvance de ce qui s’appelle l’économie sociale et solidaire, le secteur de l’ESS.
Parler de soutien public aux initiatives alternatives solidaires suppose que ces initiatives puissent, soit bénéficier des dispositifs existants pour les processus de création d’entreprises ordinaires, et pour cela éventuellement de les adapter, ou soit que des dispositifs spécifiques soient créés pour elles. Dans les deux cas, cela suppose que soient reconnues des formes spécifiques de créations d’activités économiques. Cela ne va pas de soi.
Il s’agira de caractériser cette logique infrastructurelle comme un ensemble de moyens, de ressources, d’outils numériques (des plateformes collaboratives dans une infrastructure numérique en mode ouvert et gratuit), de dispositifs socio cognitifs, mais surtout de positions et postures sociales spécifiques, de capacités individuelles et singulières qui se créent dans les interactions finalisées par l’entreprendre en communs.
Mais s’agissant plus particulièrement des initiatives collaboratives, contributives, en communs, l’action publique en soutien suppose d’autres formes et contenus de politiques publiques.
Vers un appui public à la convergence des dynamiques politiques et économiques de création d’activités et d’entreprises en communs
Le périmètre d’action collective et d’initiatives à prendre en considération pour une action publique d’incitation, de soutien et de développement doit être envisagé sur la totalité du champ d’action : aussi bien le niveau de l’initiative collective et de l’association, porteuse de communs que le niveau de la création des activités de viabilisation économique.
Aussi il apparaît essentiel dans la conception d’une telle action publique que les politiques et les dispositifs ne séparent pas les projets et les démarches de création selon qu’elles concernent des processus de mobilisation et de capacitation collective citoyenne ou des processus de création d’activités. Or, il est à noter que les politiques publiques, les services sollicités pour les concevoir et les animer et les dispositifs conçus pour les mettre en œuvre sont nettement séparés. Les uns relèvent de la politique de citoyenneté, de la participation citoyenne, les autres du développement économique et de l’entrepreneuriat. C’est à ce titre qu’un entrepreneuriat social qui serait séparé dans le mode de traitement de l’action citoyen des dispositifs d’accompagnement des dispositifs de soutien à la prise d’initiative et de pouvoir d’agir citoyen ne ferait que s’inscrire dans une logique économique et politique dominante.
De ce point de vue, les politiques et les dispositifs d’action publique dédiés à l’ESS, sans cependant éviter totalement les dissociations entre action politique action économique, sont plus souvent ouvertes à la recomposition des modes d’action politique et économique.
Une analyse fine des dispositifs dits d’ « accompagnement » nous montrerait les enjeux de cette intégration des démarches d’action. Ces dispositifs sont nombreux et sont souvent indissociables des initiatives auxquelles, d’un certain point de vue, ils donnent naissance, puisque cette naissance est souvent conditionnée par l’inscription dans un dispositif d’accompagnement qui est aussi un dispositif essentiel de financement de l’initiative.
Dans l’optique définie par la problématique présentée ci-dessus, il faudrait analyser les dispositifs d’accompagnement des projets présentés comme relevant de l’ESS. Parmi ceux-ci il faudrait donc en premier lieu s’interroger sur les dispositifs FIDESS et les DLA (dispositif local d’accompagnement). Il faudrait aussi analyser ceux conçus en direction des jeunes, de type CLAP –Comités Locaux d’Aide au Projet-, par exemple ; mais aussi les dispositifs d’espace de projets innovants, développés par exemple dans les universités du Nord de France avec le soutien de la Région et appelés HubHouses. Un risque pèse sur les acteurs, tant les porteurs de projets que les « accompagnateurs », de voir la mise en œuvre de ces programmes d’appui se resserrer sur une vision restrictive de l’économique, ne serait-ce que par une finalisation économique précipitée et exclusivement exprimée en « issues positives » réduites à l’accès à l’emploi
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Le sens d’un nouveau type d’appui à l’entreprendre en communs
Il ressort de cette architecture de création économico politique « en communs » que les appuis collectifs, pris en charge par des acteurs publics ou privés, sont alors globalement d’un autre type que ceux requis par la création d’entreprises marchandes ordinaires.
L’appui doit permettre d’expliciter les différents niveaux de créativité qui s’expriment et qui requièrent des aides spécifiques. Il n’est pas incompatible avec la réutilisation adaptée de certaines séquences d’aides et de certains outils de l’entrepreneuriat ordinaire. Mais il ne peut s’y réduire.
Les collectifs porteurs d’initiatives en communs mettent en avant des dispositifs dits d’accélération de projets pour permettre la maturation et la multiplication des projets. Les premières propositions en la matière sont bien le symptôme de ce que requière la créativité collective en communs. Mais, faute d’expliciter ces différents niveaux de création, celui du commun lui-même et celui des activités économiques induites, elles risquent de ne pas se démarquer de l’entrepreneuriat. L’appui proposé se réduira alors à l’incubation d’un projet réduit à une idée de produit ou de service, qui devra trouver ses formes adaptées de rémunération marchande. Ce modèle de l’incubation demeure cependant pertinent si on s’en sert pour concevoir et optimiser certaines activités, mais en relation à un modèle d’aide à la conception d’ensemble d’un écosystème économico politique.
Un nouveau modèle d’appui, alternatif à celui de l’entrepreneuriat, est à construire. Et, il faudra alors en spécifier les dispositifs d’aide qui le constitueraient. Ces aides recouvriraient l’ensemble du spectre de l’aide à la création d’activités que constitue l’entrepreneuriat. Pour une part elles pourraient être communes aux deux modèles, même si elles interviennent dans des logiques et à des moments différents de l’action des porteurs d’initiatives et de projets. Il en est ainsi de certains dispositifs d’incubation dans la mesure où ils permettraient de faciliter la création de certaines activités induites s’exprimant dans des logiques d’économie marchande.
Ainsi, il ne saurait être question de rejeter en bloc les logiques de l’entrepreneuriat. D’ailleurs, en elles-mêmes, et dans la mesure où la création d’entreprise est aussi et toujours une recherche des points creux et des points de rupture dans les modèles économiques précédents, les logiques de l’entrepreneuriat sont déjà porteuses d’une certaine alternative ; les travaux de Zalio (2009) le montrent aisément. De la même façon, les travaux d’ Hélène Vérin (1982) sur l’origine du mot entreprise, et bien d’autres attachés à analyser d’autres formes d’entreprises que celles strictement capitalistes, nous montrent que l’entrepreneuriat pourrait être réinterprété pour le rendre compatible avec une logique de création en communs.
Il n’en demeure pas moins que l’entrepreneuriat a acquis un tout autre statut que celui d’une neutralité axiologique quand bien même il se présente comme simple appui technique à une création d’activités et quand bien même il se présente comme social. Il importe donc de marquer la différence. Ce qui est à construire comme logique et dispositif d’appui à une forme d’entreprendre en communs suppose de s’interroger simultanément et complémentairement sur la convergence des dispositifs d’appui à la viabilisation économique avec ceux de la délibération et de la participation démocratique ; ainsi que de leur mobilisation sélective au sein d’une nouvelle architecture d’action publique ou d’action privée mais appuyée sur un encadrement institutionnel public.

Références

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Flahaut F. (2011), Où est passé le bien commun ?, Paris, Editions Mille et une nuits.
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Moulier Boutang Y. (2007), Le capitalisme cognitif, la nouvelle grande transformation, Paris, Editions Amsterdam.
Oldenburg R. (1989), The Great Good Place, New York, Marlowe & co.
Ostrom E. (1986), “Issues of definition and Theory: Somme Conclusions and Hypothesis”, National Research Council, p.597-614.
Ostrom E. (1990), Governing the commons, the evolution of institutions for collective action, Cambridge, Cambridge University Press.
Rifkin J. (2014), The zero marginal cost society, New York, Palgrave Macmillan.
Sen A. (2000), Un nouveau modèle économique, Pris, Odile Jacob.

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L’avenir des communs et de la production pair à pair suppose des "coalitions entrepreneuriales"
Si l’on considère les communs dans ce qu’ils représentent de ressources partagées, ils sont potentiellement autant d’infrastructures de coopération pour du développement économique.
Il nous faut alors réfléchir à ce que peuvent être les “coalitions entrepreneuriales” formées à partir et autour de ces ressources en communs. Cette notion de coalition entrepreneuriale est au centre des propositions avancées par la Peer to Peer Foundation (http://redpepper.org.uk/the-comming-of-the-commons/). l’exemple le plus souvent pris est celui des communs que représentent les fondations de type FLOSS (Free/Libre and Open Source Software). Ce pourrait être aussi ce que représente l’Open Source Ecology Project qui développe de la production d’engins sur base d’Open Hardware Source.
C’est bien de telles coalitions entrepreneuriales, en liens avec des communs, qu’une Chambre des Communs pourrait faciliter, en même temps qu’elle crée les conditions matérielles et logistiques d’une viabilité économique pour les commoners, Ces commoners sont tout autant ceux qui participent au développement des communautés autour de ressources partagées mais ceux ayant aussi à trouver les bases d’une rémunération pour eux-mêmes, individuellement et/ou au sein d’entreprises sous diverses formes et structures, toutes coalisées aux communs.

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