Designer les transitions

AUTONOMIE ET DESIGN

La réalisation de la communalité

Arturo Escobar

Traduction de Anne-Laure Bonvalot et Claude Bourguignon-Rougier

La crise que nous traversons aujourd’hui n’est pas uniquement la crise d’un modèle économique, pas plus qu’elle ne peut être attribuée à l’humanité dans sa totalité. Elle est bien plutôt la crise du modèle de civilisation imposé par la modernité/colonialité/capitaliste/patriarcale occidentale. C’est ce constat effectué par des activistes amérindiens, afrodescendants et paysans, et de plus en plus explicitement élaboré par la pensée critique du continent, que le livre d’Arturo Escobar prend comme point de départ afin de proposer des alternatives à un mode de vie qui s’est révélé non soutenable et intrinsèquement meurtrier.

Au Nord comme au Sud, les discours de transition ont en partage une volonté de défense et de recréation des communs qui contribue à réduire les clivages entre ces deux aires. Comme l’écrit Bollier (2014), les communs impliquent une autre manière de voir et d’être, et renvoient à un modèle de vie socio-naturelle alternatif. Au Nord comme au Sud, des combats sont menés au nom des communs, des forêts, des semences, de l’eau, voire des espaces urbains et du cyberespace : les interconnexions entre ces deux pôles se font chaque fois plus visibles et solides12. La notion de communs fédère ainsi de nombreux peuples et de nombreux mondes, qui font montre d’« un intérêt commun », mais non d’« un seul et même intérêt » : les conceptions et les pratiques des communs dépendent fortement du lieu dont elles émanent et sont spécifiques à chaque monde (de la Cadena 2015). La réflexion sur les communs et sur la communalisation entend rendre visibles les conceptions dualistes qui les détruisent : c’est le cas, en premier lieu, des partitions opposant nature et culture, humain et non-humain, individu et communauté ou corps et esprit. Une telle pensée replace l’humain au sein du flux incessant de la vie, dans lequel tout est inévitablement submergé : aujourd’hui, les Commons ont ce pouvoir immense d’amplifier la vie.

18La décroissance, la communalisation et la défense des communs sont des mouvements émergents qui contribuent à la déconstruction de la cosmovision et des pratiques régies par l’individu et l’économie. En Occident, aucune invention culturelle n’a autant nui aux mondes relationnels que l’« économie » décontextualisée et son corollaire, l’« individu autonome ». Travailler à créer une « économie créatrice de communs » (Helfrich 2013), c’est œuvrer à la (re)constitution de mondes relationnels dans lesquels l’économie se trouve réancrée dans la société et dans la nature. Cela exige que l’individu soit intégré à une communauté, l’humain au non-humain et la connaissance à l’inéluctable consubstantialité du savoir, de l’être et du faire. Ce sont là des questions fondamentales pour les pratiques du design d’orientation ontologique.

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