Une conférence de Lionel Maurel
Logiciels libres et Open Source ; projets collaboratifs comme Wikipédia ou Open Street Map ; œuvres culturelles partagées sous licence Creative Commons : autant d’exemples de Communs numériques qui ont pris aujourd’hui une importance significative. Néanmoins, ces objets sont souvent présentés comme des Communs « immatériels », « informationnels » ou « de la Connaissance », par opposition à des Communs dits « naturels », « matériels » ou « environnementaux ». Ce type de dichotomie fait écho au Grand Partage entre Nature et Culture, remis en question dans les travaux de Bruno Latour, et notamment dans son ouvrage Où atterrir ? Comment s’orienter en politique . Les travaux originaux d’Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie 2009) et de Charlotte Hess avaient pourtant le mérite de ne pas opérer ce type de séparation, car elles pensaient de front la dimension matérielle des Communs de la connaissance et le rôle du partage des connaissances dans les Communs naturels.
Mais ces enseignements ont peu à peu été oubliés au profit d’une conception désincarnée des Communs numériques, réduits à leur dimension purement informationnelle. C’est notamment l’influence de la cyberculture américaine des pionniers de l’Internet qui a conduit à les concevoir comme des « Communs intangibles de l’esprit » (James Boyle) flottant dans l’éther numérique. Suivant les propositions de Bruno Latour, il importe aujourd’hui de sortir de cette pensée dualiste pour « faire atterrir » les Communs numériques, en les appréhendant comme inséparables des infrastructures et des objets matériels constituant du réseau que forme Internet. C’est même une urgente nécessité pour parvenir à penser des Communs numériques qui ne seraient plus « hors-sol », mais enracinés dans les sols et dans les corps, en cessant de séparer les enjeux d’émancipation des humains des questions écologiques devant être regardées en face à l’heure de l’Anthropocène.