Une rencontre très intéressante me fait poser une question qui est peut-être celle d’un béotien, à laquelle je ne doute pas que plusieurs d’entre vous pourront me répondre.
Il s’agit d’une rencontre avec une personne qui baigne dans les Fablab, adepte des inventions à partager pour le simple plaisir d’inventer et de partager. Ce qui fait de lui un adepte du label juridique du Creative Commons.
Nous avons surtout discuté d’une invention qu’il vient de mettre au point. Peu importe quelle est cette invention, disons juste qu’il s’agit d’un plan de montage d’un produit, l’important est qu’il veut commercialiser ce produit, et que ce produit pourrait techniquement être industrialisé. De plus, ce produit semble avoir un potentiel commercial non négligeable.
La discussion porte sur la meilleure garantie juridique pour lui permettre de vendre son produit.
L’inventeur craint, et je le comprends, de se faire doubler dans sa vente par des industriels qui n’ont pas les mêmes moyens que lui (machines, sous-traitance asiatique, moyens de distribution et de publicité…). Il compte bien ne pas perdre les moyens de se rémunérer par l’invention et la commercialisation de ce produit. Il accuserait alors un manque à gagner par les ventes qu’il ne ferait pas, mais aurait aussi perdu contre aucune rémunération l’investissement en termes financiers et (surtout) de travail.
Il me répète qu’il met d’habitude ses inventions en Creative Commons, mais il ne compte pas en faire de même pour ce produit-là.
Pourquoi ? Parce que, me dit-il, ce produit contient un enjeu économique, une possible mise en concurrence (là où ses autres inventions ont des intérêts plutôt ludiques ou écologiques). Et les Creatives Commons (CC) ne lui paraissent pas donner assez de garanties dans ce cas, dans la pratique.
Ce n’est pas tant qu’il veut se garder les droits exclusifs d’exploiter son produit, mais il ne veut pas se retrouver en concurrence très inégalitaire en face d’industriels.
Pour ma part, il me semblait que c’était justement là l’une des fonctions sociales des CC. Mais ce n’est pas l’avis de l’inventeur.
Pour cet inventeur, les CC permettent une rémunération symbolique (renommée), mais ne permettent pas de protéger la rémunération financière du travail. Et cela, au niveau de chacune des clauses des CC (reconnaissance de l’auteur/interdiction d’utilisation commerciale/interdiction de modification/interdiction de changement de statut).
Il y a pour lui une réelle différence entre la théorie qui circule à propos des CC- dont l’application est théoriquement non limitée aux types des biens et de ressources - et la réalité des pratiques -limitées- de son utilisation.
Ce témoignage me paraît questionnant : l’efficacité des Creatives Commons s’arrêterait-il dès qu’il y a des intérêts économiques potentiellement en concurrence ? Est-ce une modalité juridique qui ne peut finalement s’appliquer que par défaut, quand celui du copyright n’a de fait aucun intérêt ?
Merci de vos éclairages.
pierre servain